Interview de Luis Dos Santos – Game designer
par Sabine Botella
Bonjour Luis, je vous remercie d’avoir accepté cette interview. Pouvez-vous me dire comment êtes-vous devenu Game Designer ?
En ce qui me concerne je suis autodidacte et suis devenu Game Designer en observant. Mon cursus initial c’est le graphisme, le Design graphique et la direction artistique ce qui explique assez logiquement mon intérêt pour le Game Design. Très curieux de nature j’ai mené d’importantes recherches sur le Game design et visionné de nombreuses vidéos sur le sujet qui m’ont permis d’acquérir les compétences requises dans ce domaine.
Game Designer est un métier qui peut toucher à de nombreux jeux et on pense immédiatement aux jeux vidéo or Il me semble que vous avez une spécificité flipper, est-ce exact ?
Effectivement c’est un terme assez large et oui on pense souvent aux jeux vidéo mais c’est aussi un domaine où il y a de nombreux professionnels aussi j’ai préféré me spécialiser dans les jeux mécaniques et plus particulièrement dans le Flipper. Il y a peu de compétences dans ce domaine en Europe et encore moins en France contrairement aux Etats Unis où le marché a continué de se développer malgré une baisse d’activité sur quelques années correspondant à un effet de mode révolu.
L’envie de devenir Game Designer a été un long cheminement qui a commencé avec l’achat de mon premier Flipper. Je l’ai ouvert pour regarder comment il était fait et c’est là que tout a commencé. Je me suis spécialisé dans le flipper mais j’ai aussi travaillé sur une borne d’Arcade qui a un principe mécanique et qu’e l’on contrôle avec des joysticks.
Vous souvenez vous de votre première rencontre avec un Flipper ?
Je suis un peu passé à côté des années Flipper, lorsqu’ils étaient dans des bars et que les gens mettaient des pièces pour jouer. Dans les années 2000, quand j’étais ado c’était déjà passé de mode, on en voyait très peu, c’était plutôt l’époque des jeux vidéo chez soi et des bornes d’Arcade donc je n’ai pas vraiment connu cette période d’or. Je me souviens cependant d’y avoir joué une fois avec mon père quand j’étais enfant mais c’est plus tard que je m’y suis vraiment intéressé. Je suis tombé par hasard sur une annonce sur le bon coin et j’en ai acheté un, puis deux et d’autres … et je me suis passionné pour l’objet. Ces flippers étaient plus ou moins fonctionnels ou en état donc j’ai commencé par les réparer et me suis plongé dans le côté mécanique du jeu.
Vous étiez donc plutôt tourné vers la mécanique, comment s’est faite la bascule vers le design du jeu ?
J’ai commencé par l’envers du décor et j’ai appris comment ça fonctionnait, j’ai sauté le pas vers le design grâce à ma rencontre avec Scott Danesi, qui avait un site internet sur lequel il partageait ses expériences de conception de son premier flipper. Cela m’a décomplexé car il travaillait lui aussi tout seul dans son garage et même s’il avait des moyens plus importants que moi au niveau du matériel, ses explications levaient des zones d’ombre et cela m’a permis d’essayer. Dans un premier temps j’ai travaillé sur un Flipper virtuel en version 3D, je n’imaginais pas alors qu’il deviendrait la base du « Space Hunt » d’aujourd’hui. Un deuxième levier m’as permis de passer de la version virtuelle à une version physique c’est ma rencontre avec Romain Fontaine que j’ai découvert grâce aux réseaux sociaux. Après lui avoir exposé mon projet de passer à la phase réalisation, Romain m’a proposé de le rencontrer et de passer une petite semaine dans ses bureaux au sein de la société Team Pinball pour me montrer comment il travaillait. Cette rencontre a été primordiale et m’a permis de passer à la phase réalisation et aussi de travailler sur un autre Flipper que le mien. Ensuite fort de cette expérience J’ai fait fabriquer mon plateau et assemblé les mécanismes c’est ainsi qu’est né le premier prototype, c’était le tout début du codage des premières missions à partir d’un framework libre de droits. Je voulais qu’il soit jouable et le tester auprès d’amis amateurs de flippers.
Si vous deviez découper les différentes phases de réalisation d’un flipper, le Design intervient à quel moment ?
Le design vient en amont de tout c’est l’équivalent d’une phase d’étude, c’est une phase architecturale du jeu. J’ai toujours sur moi un carnet dans lequel je réalise des croquis, j’esquisse des idées, des grands principes. Ça peut être des mouvements de billes, des éléments de jeu, autant d’éléments qui pourront par la suite être utilisés. Pour moi c’est une phase importante qui précède toute conception du jeu, c’est une sorte de boite à idées dans laquelle je peux aller piocher. Ensuite lorsque les idées se complètent pour prendre forme je vais passer à la phase 3D et jouer en virtuel. Je teste le plateau, les déplacements de la bille, je vérifie les trajectoires… C’est une phase importante qui me conduit à travailler davantage certains points, parfois à en modifier d’autres ou à les écarter. C’est vraiment à partir de ce travail que sera ensuite réalisé le plateau.
Comment s’organise le travail avec le vidéaste et le musicien ?
Avant de travailler avec eux il faut avoir déterminé le thème et avoir des éléments graphiques pour communiquer un cahier des charges. Sur le « Space Hunt » c’est un peu particulier car c’est un projet que j’avais mené pour moi et je possédais déjà des éléments graphiques. J’avais aussi réalisé un projet de Translight, l’image sur le fronton du flipper, c’était un univers de science-fiction et cela permettait de donner une direction graphique car à la base je suis graphiste illustrateur. Une fois validés le thème et l’implantation des éléments et mécanismes sur le plateau j’ai retravaillé les dessins du plateau. C’est à ce moment que sont intervenus Alexandre Labedade pour le graphisme 3D avec les vidéos d’animation et Hervé Coussillan pour la musique et le bruitage. C’est tout naturellement que j’ai supervisé cette phase et partagé des ressources graphiques pour alimenter les vidéos le tout accompagnées d’un storyboard.
Comment s’est fait le premier contact avec Hexa Pinball ?
Avec Alexandre Mak on ne se connaissait pas, il est venu me voir et cette synergie immédiate m’a beaucoup plu même si au début j’étais un peu sur la retenue. Un projet c’est une histoire de rencontre, nous étions sur la même longueur d’onde. J’avais travaillé sur ce projet que j’avais mis en pause car j’y avais déjà investi beaucoup d’argent. Je lui ai présenté le prototype mais je lui ai aussi dit qu’il allait falloir en faire d’autres pour améliorer le jeu d’un point de vue mécanique car le passage de la 3D au réel ne fonctionne pas toujours, il y a d’autres paramètres physiques qui entrent en ligne de compte. Cette rencontre était un rêve pour moi, rencontrer quelqu’un de sérieux pouvant accompagner le « Space Hunt » jusqu’à sa commercialisation dépassait mes attentes. J’avais déjà eu des propositions mais elles n’étaient pas sérieuses, je voyais enfin dans cette rencontre l’opportunité d’aller au bout de ce travail. Nous sommes tombés d’accord pour garder le thème « Science-fiction » avec des aliens, un héros, des combats, tout cela pouvant correspondre à un thème de flipper.
Vous ne vous êtes pas dit que c’était un projet totalement fou ?
Je le savais déjà c’était une folie mais c’est ce qui rendait le projet intéressant. Personne n’avait osé le faire jusque-là, créer le premier Flipper français c’est passionnant et si c’était à refaire je recommencerais avec eux sans hésiter ! J’ai d’ailleurs hâte de reprendre tout ce process pour un prochain flipper, partir de la feuille blanche est un plaisir incomparable. L’idée, la conception, donner vie au Flipper et créer une nouvelle expérience de jeu pour les amateurs c’est tout ce process qui me passionne.
Maintenant que le « Space Hunt » est sorti et que les amateurs l’ont testé, êtes-vous satisfait du résultat ?
C’est un travail qui pourrait être sans fin à vouloir atteindre la perfection, il a fallu à un moment décider que le Flipper était fini et qu’il serait présenté au public. On était tous engagés et je me suis particulièrement dépassé, je suis quelqu’un de très exigeant et il a fallu que j’apprenne à mettre un terme. Aujourd’hui en regardant en arrière je ne vois pas comment on aurait pu faire mieux avec des contraintes qui sont celles d’une entreprise. Je suis très heureux du résultat et du retour des joueurs, le Flipper français a toute sa place sur le marché international et peu de monde imagine que nous sommes une petite entreprise. La qualité, la surprise du jeu, le niveau de jeu, nous sommes au rendez-vous.
Et maintenant ?
J’ai toujours mon petit carnet et j’attends avec impatience le moment où Alex et Christophe vont me dire « allez on y va ». En attendant j’essaie de déconnecter et de libérer ma créativité pour être prêt, je noircis de mes recherches les pages de mon carnet.